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Tenant compte de l’expérimentation , menée entre 2015 et 2018 et co-pilotée par la DGEFP et l’ANACT, le décret N°2018-1341, daté de décembre 2018, fixe le cadre réglementaire de la nouvelle modalité pour se former. Cette modalité vient enrichir le spectre des actions de formation dite multimodale (FOAD), favorisant ainsi l’innovation pédagogique attendue par la loi de septembre 2018 ; l’Action de Formation en Situation de Travail ou AFEST. Complémentairement aux conditions de mise en oeuvre des actions de Formations réalisées tout Ou en partie A Distance (FOAD) , ce décret pose les règles d’organisation, à la fois relativement souple et exigeant, de la mise en œuvre et la conduite des AFEST. Depuis décembre 2018, de nombreux articles , web-conférences ou vidéos ont apporté des éclairages pour faciliter la montée en puissance de cette modalité inédite pour se former en vue de développer les compétences, soit des salariés en entreprises, soit des alternant en formation, dans les deux cas, avec l’appui des OPCO.
Ce décret précise la nécessité d’inclure ;
– l’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédagogiques ;
– la mise en place de phases réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseignements tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages ;
– des évaluations spécifiques des acquis de la formation qui jalonnent ou concluent l’action.
– et la désignation préalable d’un formateur, pouvant exercer une fonction tutorale.
C’est sur ce dernier point que nous souhaitons apporter un regard critique.
L’Action de Formation en Situation de Travail repose sur deux prestations successives et complémentaires.
1) D’abord un temps préalable d’analyse collective de l’activité de travail permet de construire un parcours de formation adapté aux besoins de compétences recherchées. Cette première prestation est à chaque fois réalisée sur mesure sous la conduite, en général, d’un consultant-formateur AFEST en lien avec un référent AFEST appartenant à l’équipe de direction de l’entreprise. Ce consultant-formateur doit être capable d’être à l’écoute des besoins exprimés par le chef d’entreprise (ou son représentant selon la taille de l’entreprise), de s’assurer de la fiabilité économique et pédagogique de la mise en place de l’AFEST et enfin, d’être force de proposition sur le registre des nouvelles compétences visées. Il/elle doit aussi construire un parcours de formation multimodale prenant en compte les ressources humaines, techniques et pédagogiques mobilisables et intégrant les contraintes et les opportunités liées au lieu et aux conditions de travail. Ce sont les conditions pour installer efficacement l’AFEST sur le poste en vue de la meilleure réalisation progressive possible de la tache ou les taches concernées. Dans une logique de didactique professionnelle, et par anticipation à l’arrivée l’apprenant, au final, un parcours individualisé est finalisé.
2) Dans un second temps vient le temps de l’accueil, de l’immersion progressive de l’apprenant en situation de travail avec un accompagnement multimodal portant sur trois situations en résonance : la mise en place des phases « en situation de travail » (principale), des phases « réflexives » (stratégique) et la mise en place, si nécessaire, de phases « d’apprentissage » (complémentaire). Il s’agit d’apporter à l’apprenant les aides nécessaires pour qu’il puisse progressivement s’autonomiser dans l’exécution efficace des tâches demandées au regard des compétences visées, en termes de savoir-faire et de savoir-faire comportementaux. Le-la formateur-trice, désigné-e préalablement désigné, dixit le décret, doit donc être en mesure d’exercer une fonction tutorale (approche relativement classique), intégrant en particulier la conduite de séances réflexives (approche originale), hors séances des temps de situation de travail et hors séances d’évaluation, par ailleurs obligatoires en début et en fin de parcours. Si le parcours AFEST est forcément individualisé, l’accompagnement personnalisé est en sa clef de voute, avec une conduite tutorale enrichie d’une dynamique réflexive basée sur la bienveillance et la confiance. Dans le contexte impliquant de travail (lieu, outil, organisation, production, relation, règle, rite, horaire, territoire, odeur, bruit, bref ce qui l’ambiance de travail), il s’agit d’aider la personne en formation, plutôt faiblement qualifiée, à se reconnaître durablement et pleinement « apprenante », avec un zoom sur ses habilités numériques confortées. Dans l’idéal, l’accompagnement de l’apprenant en situation AFEST pourrait être assuré par un binôme : un professionnel lié à l’entreprise et le formateur lié à un organisme de formation de proximité.
Pour assurer cet accompagnement, le décret AFEST ne mentionne pas un « tuteur » mais un formateur « pouvant exercer une fonction tutorale ». De notre point de vue, ce paradoxe souligne le caractère original, exigeant et pluriel de la mise en place et la conduite d’une Action de Formation en Situation de Travail qui n’est pas une « formation sur le tas ». Si le formateur AFEST accompagnant l’apprenant peut être un formateur, (y compris de CFA ), un tuteur, un référent métier ou un collègue expert du domaine, il doit réglementairement prendre en compte la spécificité de cette modalité.
Cela veut dire :
– il/elle ne fait pas à la place de l’apprenant, il/elle explique, et surtout, il/elle doit être en capacité d’échanger et de valoriser la capacité critique de l’apprenant.
– il/elle doit bien connaître la situation de travail, être formé-e pour mener à bien les phases réflexives dans de bonnes conditions pour l’apprenant et distinguer les pratiques d’ individualisation (souplesse de parcours) et de personnalisation (relation d’aide à l’apprenant). Ce parcours individuel n’exclut pas des séances collectives, selon les besoins, qui peuvent regrouper plusieurs apprenants en mode d’apprentissage AFEST au sein de la même entreprise ou d’un même organisme de formation.
– il/elle n’est pas systématiquement présent avec l’apprenant. Le principe de FOAD permet de construire des parcours dans lesquels la co-présence apprenant-formateur n’est plus systématisée. Cela permet d’imaginer des phases de situation de travail dans lesquelles le formateur n’est pas présent et où l’apprenant se forme en travaillant en présence et sous la responsabilité d’une autre personne : tuteur ou d’autres collègues. De plus, l’accompagnement peut être multimodal, et donc certaines séances réflexives où la présence du formateur est obligatoire, peuvent de faire en partie à distance (visiophonie, ; classe virtuelle et autres situations synchrones associés à des espaces collaboratifs de type Wiki, plus des applications spécifiques y compris pour ordiphones).
Tous ces éléments, et d’autres, nous conduisent à penser que le formateur AFEST est un professionnel qui maîtrise plusieurs fondamentaux pédagogiques dont les bases de la didactique professionnelle. Dans les grandes entreprises qui disposent d’un service formation, la mobilisation d’un formateur interne semble une piste fertile. Cependant, pour ne pas dénaturer la relation d’aide au cœur des interactions apprenant-appreneur, il ne semble pas opportun de recourir à un hiérarchique pour être formateur AFEST : difficile pour le manager de prendre une casquette « accompagnateur AFEST » alors qu’il a, par ailleurs réglementairement, une responsabilité d’évaluateur. Le parcours AFEST repose sur la liberté de l’apprenant d’exercer son droit à l’essai, à l‘erreur, au questionnement et à la critique. En revanche, pour les PME-PMI, cible première de cette innovation, si la première prestation d’établissement du parcours AFEST se fait étroitement avec la direction de l’entreprise (référent AFEST) en prenant en compte « l’écosystème compétences » de son territoire, le recours à un formateur externe, de proximité territoriale, nous apparait comme incontournable. Le recours à un-e formateur-trice externe est non seulement légal, mais aussi, judicieux pour des entreprises de petites tailles, à la seule condition de connaître le métier et les spécificités de l’organisation du travail.
Contrairement à des informations ambiguës présentes sur le web, aujourd’hui, aucune obligation de certification pour les formateurs-trices n’est obligatoire. Au regard des enjeux quantitatifs sur tous les territoires PME-PMI et grandes entreprises, plus le champ de l’alternance, l’obligation d’une certification aurait créé un frein. Cela aurait été contraire à la volonté des partenaires sociaux et de l’état de favoriser, dès maintenant, l’innovation pédagogique sous toutes ses formes dont la modalité AFEST. Cependant, le recours à un formateur externe, appartenant donc à un organisme de formation, s’appuiera, à partir de janvier 2021, sur l’obtention d’une certification qualité au plan national de celui-ci. Cette certification sera obligatoire pour tous les OPAC (Organismes Prestataires d’Actions concourant au développement des Compétences) pour recevoir des fonds publics ou des fonds mutualisés. En revanche, un organisme de formation travaillant exclusivement pour des entreprises pourra se dispenser de cette démarche. Cela veut dire aussi que le choix d’un formateur interne, pour accompagner un parcours AFEST, ne sera pas soumis à cette obligation. Cela crée une différence de fait, qui peut surprendre, entre un formateur externe dont l’OF est soumis à des obligations légales de qualité et un formateur interne dont l’entreprise aujourd’hui n’est soumise à aucune obligation sur ce champ.
Le décret N°2018-1341, daté de décembre 2018, laisse les entreprises et opérateurs AFEST libre de choisir un-e formateur-trice interne ou un-e formateur-trice externe. Pour mieux répondre à cet enjeu, plusieurs offres de formation de formateurs , multimodale ou non, certifiante ou non, sont proposées.
Jean Vanderspelden – membre du FFFOD
jean.vanderspelden@free.fr - www.iapprendre.fr @jeanvds – Septembre 2019
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